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Lecteur modéré, principalement des essais mais aussi quelques romans, parfois. Majoritairement en français.

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Q comme Qomplot (French language, 2022, Lux Éditeur) No rating

La promesse des médias sociaux et la réalité des faits

Il y a, en amont, un malentendu sur l’expression « médias sociaux » elle-même. Surtout lorsqu’elle est transférée dans le contexte italien, cette expression est à la fois générique et erronée :

  • générique parce que tous les médias sont sociaux : ils sont dans la société, concernent la société, s’adressent à la société ;
  • erronée parce que « social » revêt ici l’acception 2c du Merriam-Webster : « de, relatif à ou conçu pour la sociabilité », qui est à son tour une condition « marqué par ou propice à la convivialité ou à des relations sociales agréables ».

L’expression « médias sociaux » signifie donc plus ou moins « moyens de communication conçus pour vous permettre de rester de bonne humeur en bonne compagnie ». Ce nom est déjà un slogan et une promesse : si vous traînez par là vous aurez plein d’amis et de relations agréables.

Mais alors, si l’on considère les médias sociaux les plus courants, on en vient à se demander : quel rôle jouent les inimitiés, les relations toxiques, les échanges avec des personnes déplaisantes ? Pourquoi tant de groupes d’«amis» sont-ils des bandes de bêtes féroces et pourquoi tant de gens sont-ils aussi clairement furieux ?

Eh bien ! parce que vu le moment historique et le modèle d’entreprise, c’est bien à ça qu’on en arrive.

Moment historique : nous sommes dans le capitalisme et en pleine crise mondiale. Beaucoup de gens ont une vie de merde, des raisons d’être furieux, ils en ont à gogo, et tôt ou tard ils commencent à débloquer sur les réseaux.

Modèle d’entreprise : pour les commerciaux des réseaux, ces déblocages valent de l’or.

Mais peut-être faut-il une métaphore plus précise : sur les réseaux, et significativement sur Facebook, les relations sont à la fois le sol à creuser et la matière première à extraire et à valoriser. C’est là aussi une forme d’extractivisme : tout ce qui se passe sur Facebook dérive de la nécessité de sonder, d’extraire et de vendre la vie des gens. La machine de Zuckerberg a commencé mollement, puis elle est montée en puissance, et à côté d’elle la fracturation hydraulique est aujourd’hui une plaisanterie.

Nous avons écrit là-dessus « à une époque insoupçonnable », comme on dit : en 2011, un de nos posts sur le « fétichisme de la marchandise numérique » et sur l’exploitation du surtravail dans les interactions sur les réseaux avait irrité ou provoqué des réactions sarcastiques et passives-agressives.

En 2011, on vivait encore la lune de miel avec le web « 2.0 », il y avait le mythe de la Silicon Valley et les techno-enthousiastes se divisaient en trois catégories :

  • une minorité de rêveurs en retard, convaincus que la toile était encore celle de l’époque « héroïque » et de l’« éthique hacker », et qui vous traitaient d’« apocalyptique » si vous la critiquiez;
  • une autre minorité, composée de startupers et d’apologistes du startupisme, dont vous ruiniez le business potentiel si vous critiquiez le Saint Réseau (des gens qu’on a ensuite vus défiler à la Leopolda) ;
  • une grande majorité d’inconscients, une vaste masse de néo- phytes qui arrivait sur internet grâce à Facebook et utilisait les technologies numériques sans se poser la moindre question.

Facebook vend mes données personnelles ? Et qu’y a-t-il de mal à ça ? Le contrôle ? Contrôle de quoi ? Le respect de la vie privée ? Mais pourquoi, tu as quelque chose à cacher ? Pas moi ! Celui qui ne fait rien de mal n’a rien à craindre, etc.

Durant l’été 2010, nous avions lu un essai « fondateur » de Maria Maddalena Mapelli, paru dans la revue Aut Aut puis sur Carmilla et qui avait assez vite pris la forme d’un livre intitulé Per una genealogia del virtuale. Dallo specchio a Facebook (Pour une généalogie du virtuel. Du miroir à Facebook). Mapelli qualifiait Facebook de dispositif « uniformisant et persuasif » : « [P]ersuasif, dans le sens où il induit des comportements automatiques et prévisibles (il nous veut, justement, tous vrais et sociaux) et à la fois uniformisant dans le sens où il induit, en nous, utilisateurs, des distributions identitaires, des modalités d’interaction et de narration, des régimes de visibilité qui nous rendent sériels et identiques. »

Dès ses débuts, avec l’injonction d’utiliser son vrai nom — ce qui fut un tournant radical dans l’histoire du web : avant « personne ne savait que tu étais un chien » — et de mettre sa photo, Facebook a démontré qu’il nous voulait « vrais et réels en tant qu’individus » : « Facebook induit des processus de subjectivation individualisants : il induit une vision monolithique et cohésive de l’identité, en nous interdisant explicitement de jouer avec des repositionnements créatifs du Soi. Cet aspect du dispositif […] accroît le potentiel de ressemblance de notre alter ego numérique avec le réel : tout comme nous sommes poussés à donner une “vraie” image de nous-mêmes, nous attribuons aussi aux autres “avatars”, aux alter ego numériques de nos “amis”, une consistance qui dans d’autres lieux du web, ne possède pas la même force persuasive. »

Quant à l’uniformisation, à l’époque on pouvait penser que Mapelli exagérait, mais la chose est devenue de plus en plus évidente. Sur Facebook on finit par communiquer presque tous de la même façon, par suivre les mêmes schémas et parcours, par réagir aux mêmes stimulations standardisées selon les mêmes modèles.

Comment, pardon ? Putain, encore cette histoire ? Que c’est chiant… Non, il n’est pas vrai que « chaque technologie dépend de la façon dont on l’utilise ». C’est une petite phrase trompeuse.

« Tout dépend de comment vous l’utilisez » présuppose une idée de technologie neutre, un outil pur qui, quand je le prends en main, devient, ou peut devenir, une projection directe de ma volonté. Ça ne marche pas comme ça. Chaque technologie a une logique de fond inscrite en elle qui en établit l’utilisation. Même la technologie la plus simple fonctionne sur la base d’un algorithme, c’est-à-dire une séquence d’instructions pour accomplir une opération définie. L’algorithme inscrit dans le cric est la bonne façon de l’utiliser pour changer une roue. Essayez de faire la même chose avec un tube de baume à lèvres et voyons si vous allez loin. Essayez d’utiliser une lame de rasoir pour vous laver le cul. Essayez de dire que le gaz sarin, ça dépend de comment vous l’utilisez.

Dans le cas présent, la technologie dont nous parlons est une complexe infrastructure planétaire de communication, projetée et continuellement weaponisée, acérée pour aiguillonner de toutes les manières possibles les échanges et les interactions entre les personnes, et transformer ces échanges et ces relations en marchandise. Et il ne s’agit pas de la « marchandisation » au sens figuré dont parlait la théorie critique du XXe siècle (de l’école de Francfort, des situationnistes, de Pasolini, etc.) : non, ces relations deviennent des mégadonnées à vendre, donc des marchandises au sens littéral du terme.

Si l’on parle d’une technologie de ce genre, il est vraiment naïf de penser que l’individu isolé ait une quelconque marge de choix, ou une quelconque marge de manœuvre pour pirater ce milieu.

À plus forte raison si l’aiguillon et l’extraction de valeur adviennent grâce à un processus grandissant de gamification, très semblable à ce qui est utilisé dans le jeu vidéo de hasard, de la programmation des machines à sous aux sites de paris, en passant par le poker en ligne. Une machine à sous ne « dépend pas de comment on l’utilise » : on l’utilise comme elle a été programmée, point. Et elle a été programmée pour susciter une dépendance comportementale : l’hasardopathie (nous sommes d’accord avec ceux qui invitent à ne pas l’appeler « ludopathie »).

Ici aussi, la translation depuis l’anglais suscite une déperdition de l’information. Game au sens de partie, concours, compétition (même seulement avec soi-même) ; gamification signifie ajouter à une activité, à une interaction entre personnes, à un milieu communicatif, des scores, des records, des prix, des « récompenses variables », des niveaux à dépasser, parfois des punitions à éviter, tout cela pour rendre l’ex- périence addictive.

On trouve dans le livre du groupe de recherche Ippolita, Tecnologie del dominio (Technologies de la domination), une importante réflexion sur la gamification. Une élaboration ensuite reproposée, dans un cadre plus hybride et narratif, dans le livre d’Agnese Trocchi et CIRCE Internet, mon amour. Ces deux textes offrent un vadémécum qui permet de comprendre si un contexte est gamifié.

Si l’on considère la liste des caractéristiques, Facebook les possède toutes. Citons cet extrait de la page 111 de Tecnologie del dominio:

Comme il arrive dans de nombreux jeux vidéo, 1) l’œil est surstimulé au point que le joueur-utilisateur ne rend pas compte qu’on l’appelle, voire qu’on le touche ; il peut marcher dans la rue et ne pas s’apercevoir d’un danger […] parce qu’il est immergé dans la procédure gamifiée ; 2) il tend à se connecter de plus en plus souvent à la plateforme qui octroie les sessions de jeu ; 3) il répète des actions simples de façon mécanique (like, post, défilement de l’écran, etc.) ; 4) il est orienté par des chiffres qui mesurent ses activités (nombre de notifications, de posts, de likes, etc.) ; 5) les règles du jeu changent en fonction de la volonté souveraine de la plateforme […] ; 6) l’entrée et la sortie de l’espace gamifié ne sont pas marquées de manière significative parce que le login et le logout sont automatisés et peuvent être effectués n’importe quand et n’importe où.

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C'est un extrait d'un extrait de billet de blog publié en décembre 2019 sur le blog Giap par les auteurs. Il explique pourquoi ils ferment leur compte Twitter. Dans le bouquin, ce passage vient rappeler l'impact des réseaux sociaux sur nos comportements, ce qui nourrit l'attrait des fantasmes de complot, notamment.

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Dysphoria Mundi (Paperback, fr language, 2022, Grasset) 5 stars

L'hypothèse révolution mobilise conjointement les forces de l'écologie politique, du transféminisme, de l'antiracisme et de la lutte face aux technologies bio-cybernétiques en imaginant un nouvel agencement critique qui dépasse à la fois la politique identitaire, l'État-nation et la rhétorique sur l'individu libéral. Une action climatique qui n'est pas en même temps un projet de dépatriarcalisation et de décolonisation institutionnelle et sociale ne peut qu'accroître la fracture de classe, sexuelle, de genre et de raciale. Les pistes cyclables du centre de Paris peuvent parfaitement coexister avec les violences sexuelles domestiques, avec l'enfermement institutionnel des minorités racisées et avec le agressions homophobes. Le féminisme républicain peut être en même temps raciste et transphobe. Il y a aussi un hétéro-machisme écolo et un un racisme vert.

Dysphoria Mundi by 

Passage qui clôt la section le négationnisme comme épistémologie de la contre-révolution du chapitre L'hypothèse révolution. Et il s'agit d'un ensemble de négationnisme, le plus souvent associés :

Pour l'hypothèse révolution, il est crucial de comprendre que les climato-négationnistes sont aussi, et souvent, des genre-négationnistes et des négationnistes coloniaux. (p. 57 aussi).

Dysphoria Mundi (Paperback, fr language, 2022, Grasset) 5 stars

Les experts en biochimie environnemental appellent « produits chimiques éternels » (forever chemicals) les substances dont la toxicité est si durable qu'elles ne peuvent être éliminées au cours de la vie d'un individu ou d'une génération entière, et dont la désintégration nécessite un cycle géologique qui dépasse l'échelle biologique de l'espèce. Il s'agit de substances bioaccumulatives, comme la radioactivité ou les composés chimiques perfluoroalkylés et plyfluoroalkylés, comme les mousses anti-incendie, les revêtements hydrofuges et lipophobes utilisés dans les textiles, les matériaux de guerre et de télécommunications. Pour David R. Boyd, l'accumulation de substances éternelles est tellement consubstantielle au fonctionnement du capitalisme fossile qu'il est, au sein de ce régime de production, impossible d'éviter la création de ce qu'il a appelé des « zones de sacrifice » : des territoires dont l'eau et le sol sont des réservoirs polluants résiduels et dont les communautés vivantes sont exposées à des niveaux d'empoisonnement extrêmes. Tout comme il existait dans certaines cultures des pratiques sacrificielles qui servaient à maintenir et à construire une hiérarchie métaphysique (la différence entre les dieux et les humains, entre les humains et les animaux, entre les corps appartenant à la communauté et les étrangers…), le capitalisme est une sorte de religion pétro-sexo-raciale qui exige le sacrifice de certains corps (animal, femme, enfant, étranger, racisé…) et la destruction de certains espaces (la colonie, la périphérie, la banlieue, le Sud…) afin de maintenir une hiérarchie mythico-érotico-marchande. La présence de substances éternelles dans le sol, l'eau et l'air permet de parler non seulement d'extractivisme et de colonisation industrielle d'un territoire donné, mais, plus radicalement, de la construction de nécro-espaces, des espaces de mort où la vie est, sinon impossible, du moins toxique. Sans la naturalisation du poison et l'esthétisation de la pollution, ce régime de domination et de destruction n'aurait pas pu fonctionner.

Dysphoria Mundi by 

PP. 45 et 46. Je lis ça hier soir, et aujourd'hui sort « Polluants éternels » : comment « Le Monde » a suivi la trace des PFAS à travers l’Europe (https://foreverpollution.eu/).

Le rêve des machines (French language, 2022, Éditions Allia) 4 stars

Humain obsolète

4 stars

Dans deux lettres adressées à Francis Powers, pilote d'une mission US au-dessus de l'URSS, qui s'est fait prendre. L'évènement avait passablement réchauffé la guerre froide, avec le risque permanent d'une guerre nucléaire.

Dans ces deux lettres, Günter Anders développe certaines de ses idées autour de l'obsolescence de l'animal humain à l'ère du rêve des machines. Terriblement actuel.

Le rêve des machines (French language, 2022, Éditions Allia) 4 stars

Considérons d’abord le simple fait que, dans nos pays libres (c'est-à-dire capitalistes) ; La production, et tous les produits, visent le profit. Un fabricant de chaussures qui aurait fondé son usine et produirait à seule fin de nous épargner de marcher pieds nus, vous n’en avez encore jamais vu. Celui qui énonce ouvertement cet trivialité (et vous non plus, vous ne la démentirez certainement pas) exprime alors quelque chose qui ne sera pas volontiers admis dans le monde libre : à savoir que nous, les hommes, ne sommes pas le but de la production.

[…]

Nous, les consommateurs, sommes en premier lieu serviteurs, bien que nous soyons richement servis ou plutôt, justement parce que nous le sommes si richement. Cela signifie qu’il nous est attribué une tâche spéciale, celle de faire disparaître tous les produits par notre « travail de consommation », afin de rendre nécessaire, par cette disparition forcée, la production des prochains produits. Être consommateur signifie : être employé comme indispensable liquidateur des produits et, à ce titre, garantir et maintenir le rythme de la machine de production.

Le rêve des machines by ,

Pages 76 et 77.

Le rêve des machines (French language, 2022, Éditions Allia) 4 stars

« Inversion totale » signifie, de manière figurée, que la relation entre homme et machine « est sens dessus dessous » ; qu'à présent ce n'est plus la machine qui est-là pour les hommes, mais à l'inverse les hommes pour la machine. -- Cette image reste cependant insuffisante, dans la mesure où l'inversion a en outre des répercussions sur l'idée de « monde ». Cela signifie derechef : nous ne vivons plus, comme ce fut encore le cas au cours des siècles passés, dans un monde d'hommes où se trouvent , entre autres, des appareils ; mais au contraire dans un monde d'appareils où se trouvent, entre autres, des hommes. Et par le terme « monde », nous entendons désormais ce monde des appareils.

Le rêve des machines by ,

Ce texte a été rédigé au début des années soixante. Par appareils, il faut comprendre les systèmes que les machines et leurs relations constituent.

Communion (French language, 2022, Armand Colin) 5 stars

Sait-on aimer ?

5 stars

Les mentions du new age ou de la spiritualité (brièvement, vers la fin), mais aussi du développement personnel ne me parlent pas trop, bien qu'on comprend bien leur contexte. C'est un livre publié au début des années 2000, et il ne faut pas l'oublier. L'autre point, c'est que j'ai parfois l'impression d'un manque de structure (au sein des chapitres) et de répétitions, liées à la structure des chapitres.

Mais c'est un livre important qui montre à quel point le patriarcat est un tue l'amour, que ses oppressions rendent la construction de l'amour entre les êtres très difficile. Qu'il faut d'abord passer des décennies à comprendre ce qu'est le patriarcat, comment en prendre distance, pour pouvoir tisser des liens affectifs durables. Souvent on a l'impression que dans le livre il s'agit d'une quête personnelle (développement personnel), mais il n'en est rien. C'est bien d'actions collectives qu'il s'agit.

Personnellement, en tant que …