Ren reviewed Mérite by Annabelle Allouch
Entre sociologie et littérature, le brouillard du mérite
4 stars
Le livre oscille entre socio (références, études) et littérature (saynètes fictives, jeux de mise en page), qui ne sert pas toujours la clarté du propos. Mais peut-être est-ce là la volonté de l'autrice, transcrire par la forme toute la complexité et l'intrication de son fond : le mérite. C'est déstabilisant de ne jamais lire de critiques sur le mérite en lui-même, mais sur ses invocations, sa discipline sociale, son objectivité affichée. Petit tour des passages marquants : p.13 : le mérite est une pratique sociale de l'évaluation, de la comparaison et du classement perpétuel des individus. Un mélange de talent, d'effort ou de souffrance selon le sujet. p.16 : mérite comme "sociodicée", càd un mode de justification a posteriori des inégalités p.23 : une fiction nécessaire pour se croire en contrôle, maintenir le contrat social malgré les inégalités flagrantes. Essor sous Napoléon de la rhétorique méritocratique (médailles,..) p.37 : discrimination …
Le livre oscille entre socio (références, études) et littérature (saynètes fictives, jeux de mise en page), qui ne sert pas toujours la clarté du propos. Mais peut-être est-ce là la volonté de l'autrice, transcrire par la forme toute la complexité et l'intrication de son fond : le mérite. C'est déstabilisant de ne jamais lire de critiques sur le mérite en lui-même, mais sur ses invocations, sa discipline sociale, son objectivité affichée. Petit tour des passages marquants : p.13 : le mérite est une pratique sociale de l'évaluation, de la comparaison et du classement perpétuel des individus. Un mélange de talent, d'effort ou de souffrance selon le sujet. p.16 : mérite comme "sociodicée", càd un mode de justification a posteriori des inégalités p.23 : une fiction nécessaire pour se croire en contrôle, maintenir le contrat social malgré les inégalités flagrantes. Essor sous Napoléon de la rhétorique méritocratique (médailles,..) p.37 : discrimination sous couvert de méritocratie : exemple du concours d'entrée à l'ENA uniquement pour les femmes dans l'après-guerre p.43 : illusion de justice sociale du concours à l'instant T : copies anonymes, temps de composition égaux. Glissement du mérite vers l'"âge du potentiel", sélection des singularités (sur dossier, sur oral) p.66 : "mérite républicain" et "ascenseur social", incarnation des mobilités ascendantes "extrêmes" : la figure du boursier p.69 : parcoursup : mérite ou ajustement de l'offre à la demande ? p.84 : mérite, une reconnaissance de l'effort réservée à une élite p.87 : comédie des émotions méritocratiques, mise en avant des origines populaires plus ou moins réelles p.89 : efficacité émotionnelle du mérite, une expérience sensible entière (honte, fierté, angoisse) en pleine subjectivité p.93 : le mérite est une "discipline" au sens de Foucault, càd une relation de pouvoir, une technique de gouvernement p.102: CCl° : le mérite est une croyance : "C'est sur cette subjectivité que repose un système qui objectivement ne donne aucune place au mérite."
Résumé babelio : "Alors que les inégalités sociales (notamment face à l'école) ont été aggravées ces vingt dernières années par les crises économiques, pourquoi continue-t-on de croire au mérite ? " Yes, we can ! ", " Qui veut, peut ", " premiers de cordées "... Défendu autant par les partis progressistes que conservateurs, peu de notions font l'objet d'un consensus politique aussi complet que le mérite. Il est ainsi investi comme un principe " juste " de distribution des ressources rares. De la même façon, l'école s'est imposée dans de nombreuses sociétés comme l'espace de construction de l'émancipation des individus par le mérite par excellence. Pourtant qui définit le mérite aujourd'hui, et surtout comment le définit-on ? Cet essai incarné et sensible vise, à partir de l'apport d'études récentes en sciences sociales, à réhabiliter les luttes (ordinaires ou politiques) qui structurent les usages de la rhétorique méritocratique comme principe de justice. Car loin d'être univoque, le mérite fait l'objet d'une reconfiguration perpétuelle, autant dans l'espace public, que dans nos relations ordinaires aux institutions. De la même manière, à rebours d'une lecture qui ferait du mérite un principe abstrait de la justice sociale hérité de la Révolution française, la sociologue Annabelle Allouch propose de comprendre le mérite comme une morale sensible de la reconnaissance qui structure notre quotidien, ce qui permet de comprendre notre attachement à cette notion, malgré les critiques dont elle fait l'objet. Pour ce faire, elle mobilise avec talent un ensemble de saynètes tirées de l'actualité ou bien ses propres enquêtes autour de la sociologie du concours et des effets de la discrimination positive dans l'accès à l'enseignement supérieur. "